Face aux trois projets d’exploration minière de Breizh Ressources, des députés de Bretagne et des Pays de la Loire tirent la sonnette d’alarme. Ils s’appuient sur l’expertise scientifique pour dénoncer des risques sanitaires et environnementaux majeurs, liés notamment à la géologie du sous-sol et à l’utilisation de produits toxiques.

Alain Moreau 9 novembre 2025
Exploration minière en Bretagne et Pays de la Loire : les députés alertent sur des risques sanitaires et environnementaux majeurs
Une mobilisation inédite des élus bretons face aux projets d’exploration minière de la société Breizh Ressources soulève des questions cruciales sur l’avenir du territoire.
Ce samedi 8 novembre 2025, à Erbray, commune au sud-est de Châteaubriant dans le nord de la Loire-Atlantique, une matinée d’information inhabituelle a réuni syndicats forestiers et agricoles, associations environnementales et élus locaux. À l’initiative de Jean-Claude Raux, député de Châteaubriant-Ancenis, cette rencontre s’inscrit dans une démarche d’information préventive menée conjointement avec ses collègues Mathilde Hignet et Paul Molac. Étaient également présents des élus : Isabelle Dufourd-Bouchet, maire d’Erbray, qui recevait, ainsi que Philippe Veyer, maire de St-Martin-de-la-Place, commune du segréen en Anjou Bleu.
L’objet de leur inquiétude : trois permis d’exploration minière baptisés TARANIS, BELENOS et EPONA, portés par la société Breizh Ressources. Loin d’une opposition de principe, cette mobilisation s’appuie sur l’expertise scientifique pour éclairer les décideurs et les citoyens sur les implications concrètes d’une activité minière dans la région.
Pour alerter sur ces dangers, les députés ont fait appel à des experts de premier plan. Julien Syren, ingénieur géologue et codirecteur du Laboratoire de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), ainsi que Maître Hermine Baron, avocate spécialisée dans la défense des victimes d’atteintes à l’environnement, ont présenté leurs recherches lors de la conférence de presse, précédée de deux réunions d’information à Carentoir et Erbray.
Une particularité géologique préoccupante
Le sous-sol breton présente une caractéristique qui transforme ces projets en enjeu sanitaire : sa composition granitique favorise naturellement la présence de radon, un gaz radioactif issu de la désintégration de l’uranium et du radium contenus dans la croûte terrestre.
Ces caractéristiques géologiques se traduisent concrètement par un classement élevé des zones concernées.
Les zones visées par les demandes de permis sont classées en zone 3, le niveau maximal d’exposition au radon selon la classification française. Cette classification n’est pas anodine : elle signale des concentrations significatives de minéraux naturellement radioactifs dans le sous-sol. Or, plusieurs des substances recherchées par l’exploration minière sont précisément associées à une radioactivité élevée.

Le creusement de mines exposerait ces formations géologiques à l’air libre, provoquant une accumulation de radioactivité. Si les travailleurs miniers seraient en première ligne, les populations locales subiraient également cette exposition accrue, avec des conséquences sanitaires potentiellement graves à moyen et long terme.
Des risques dès la phase d’exploration
Contrairement à une idée reçue, les dangers ne commencent pas avec l’exploitation, mais dès la phase d’exploration. Les forages nécessitent l’injection de fluides chimiques de fracturation dans le sous-sol pour faciliter les opérations, exposant déjà l’environnement à des substances potentiellement nocives.
Si l’exploitation était autorisée, les processus industriels deviendraient encore plus préoccupants. Le minerai extrait doit subir plusieurs étapes de traitement : d’abord le broyage, qui concasse la roche en plusieurs phases successives, puis le traitement chimique.
C’est à ce stade que l’industrie minière recourt à des produits hautement toxiques : cyanure de sodium, nitrate de plomb, acide sulfurique. Chacune de ces substances présente une toxicité aiguë avérée pour la santé humaine et les écosystèmes.
Le danger est amplifié par ce que les toxicologues appellent « l’effet cocktail » : lorsque ces produits chimiques se mélangent, leur toxicité peut se démultiplier de façon imprévisible.
Le fardeau des déchets miniers
L’extraction minière génère des volumes considérables de résidus, stockés dans des terrils ou des bassins spéciaux appelés parcs à résidus. Ces déchets posent un problème environnemental majeur et durable, bien au-delà de la période d’exploitation.
Le phénomène le plus préoccupant est le drainage minier acide. Lorsque les résidus contenant des sulfures sont exposés à l’oxygène et à l’eau, une réaction d’oxydation se produit, libérant de l’acide sulfurique et mobilisant les métaux lourds emprisonnés dans les roches.

Ces substances toxiques contaminent ensuite l’environnement par ruissellement de surface et infiltration dans les nappes phréatiques. L’eau, ressource vitale pour l’agriculture, l’élevage et la consommation humaine, devient alors un vecteur de pollution sur de longues distances.
Des impacts irréversibles sur le territoire
L’Association Toxicologie Chimie (ATC), qui appuie la démarche des députés, insiste sur la dimension temporelle des risques. À moyen terme, les populations locales, la faune, la flore, l’agriculture et l’élevage subiraient les conséquences de l’exposition combinée à la radioactivité et aux substances chimiques toxiques.
À long terme, ces impacts deviendraient irréversibles pour le territoire. La contamination des sols et des eaux peut persister pendant des décennies, voire des siècles, bien après la fermeture des sites miniers. Des exemples à travers le monde montrent que les cicatrices laissées par l’exploitation minière traversent les générations.
Trois permis, 850 km² de territoire concerné
La société Breizh Ressources a déposé entre juillet et octobre 2023 trois demandes de permis exclusifs de recherches minières (PERM) qui couvrent au total plus de 850 km² et concernent 42 communes réparties sur quatre départements bretons et ligériens.
Le permis EPONA, déposé en premier le 21 juillet 2023, concerne 4 communes du Pays de Lorient dans le Morbihan (Kervignac, Nostang, Hennebont et Languidic) sur une superficie de 51 km². C’est le plus petit des trois projets, mais il se situe dans une zone littorale sensible.
Le permis BELENOS, déposé le 5 octobre 2023, est le plus vaste avec ses 441 km² répartis sur 18 communes de Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire. Il couvre notamment la région d’Erbray, Moisdon-la-Rivière, Candé et s’étend jusqu’en Anjou. Ce territoire est essentiellement agricole.
Le permis TARANIS, déposé le 11 octobre 2023, s’étend sur 360 km² et 20 communes situées à la confluence de trois départements : l’est du Morbihan, le sud de l’Ille-et-Vilaine et le nord-ouest de la Loire-Atlantique. Ce périmètre concerne notamment le Pays de Redon et présente un caractère en partie forestier.
À titre de comparaison, ces trois périmètres représentent ensemble une superficie équivalente à 17 fois celle de la ville de Rennes.
Qui est Breizh Ressources ?
Malgré son nom breton, Breizh Ressources est une filiale de la société canadienne Aurania Resources, immatriculée aux Bermudes. La start-up, basée à Lorient, est présidée par Keith Barron, un géologue britanno-canadien de 60 ans résidant en Suisse.
Keith Barron jouit d’une certaine notoriété dans le milieu minier international. En 2006, il a découvert avec deux associés le site de la Fruta Del Norte en Équateur, une mine contenant 10 millions d’onces d’or. Deux ans plus tard, le trio a vendu cette mine à la multinationale Kinross pour 1,2 milliard de dollars canadiens, ce qui leur a valu d’être sacrés « personnalités minières de l’année » par le magazine spécialisé The Northern Miner.
Ce modèle économique est précisément celui que Breizh Ressources semble vouloir reproduire : l’entreprise n’a pas vocation à développer ces projets au-delà du stade de l’exploration. Le code minier français lui permet de vendre le permis ou la concession obtenue à un gros opérateur minier, réalisant au passage une plus-value substantielle. La société prévoit d’investir entre 2 et 8 millions d’euros dans ces explorations.
Que recherche-t-on dans le sous-sol de Loire-Atlantique ?
Le projet porte sur une quarantaine de substances minérales, dont certaines sont stratégiques pour la transition énergétique et le développement technologique : antimoine, argent, bismuth, cobalt, cuivre, étain, germanium, indium, lithium, molybdène, niobium, or, tantale, tungstène, platine, plomb, zinc, terres rares et substances connexes.
Parmi ces éléments, plusieurs présentent une toxicité avérée, comme l’antimoine et le plomb. D’autres sont essentiels à l’industrie moderne : le lithium pour les batteries, les terres rares pour l’électronique, le cobalt pour les véhicules électriques.
Le sous-sol du Massif armoricain est riche en filons minéralisés connus depuis longtemps. Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) a d’ailleurs établi depuis des décennies des inventaires de ces ressources. Aujourd’hui, les techniques d’exploration permettent de sonder le sous-sol sur plusieurs centaines de mètres de profondeur, bien au-delà des quelques dizaines de mètres des anciennes prospections.
Qu’est-ce qu’un PERM et quelle est la procédure ?
Un permis exclusif de recherche minière (PERM) est un titre juridique qui confère à son détenteur l’exclusivité pour procéder à des travaux d’exploration visant à découvrir des gisements de substances minières. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, ce permis ne constitue pas une autorisation d’exploitation.
Toutefois, il ouvre une voie privilégiée vers une concession d’exploitation : le code minier garantit au titulaire d’un PERM le droit exclusif de présenter, après enquête publique mais sans mise en concurrence, une demande de concession pour les substances autorisées.
La durée d’un PERM est de 5 ans maximum, renouvelable deux fois, soit 15 ans au total pour la phase d’exploration. Si une exploitation est ensuite accordée, la concession peut durer 50 ans, renouvelable deux fois pour 25 ans, portant la durée totale potentielle à 115 ans.
La décision d’accorder ou de refuser un PERM relève du ministre de l’Économie. La procédure comporte une consultation locale et une consultation publique. C’est précisément cette consultation publique qui a suscité la polémique.
Une procédure contestée
Les trois demandes de permis ont été déposées entre juillet et octobre 2023, mais l’information n’a été rendue publique que début 2024. La première consultation publique s’est déroulée du 24 juin au 22 juillet 2024, en pleine période estivale et pendant la campagne des élections législatives.
Plusieurs élus, dont Jeannick Martel, adjointe à la mairie de La Chapelle-de-Brain en Ille-et-Vilaine, ont dénoncé le calendrier : « L’information était tardive, et c’était en pleine période estivale et pendant les législatives. Les conditions n’étaient propices ni à la publicité du projet ni au débat. »
Un rebondissement juridique est intervenu le 12 juillet 2024, en pleine consultation. Le Conseil d’État a statué qu’une décision d’octroi de permis minier devait être soumise à évaluation environnementale selon la directive européenne 2001/42/CE. Cette décision a conduit à suspendre la procédure.
Le pétitionnaire a dû reprendre son dossier pour constituer des rapports environnementaux complets. L’Autorité environnementale a adopté un avis sur ces trois demandes le 13 février 2025, et une nouvelle consultation publique est prévue le 19 mai 2025.
Les droits des propriétaires
Un point juridique crucial mérite d’être souligné : les travaux de recherches minières ne peuvent être entrepris qu’avec le consentement du propriétaire de la surface. Le code minier prévoit certes une procédure alternative en cas de refus (servitudes), mais celle-ci implique obligatoirement une indemnisation du propriétaire.
C’est sur ce levier juridique que s’appuient les associations environnementales pour bloquer les projets. Eau & Rivières de Bretagne invite les propriétaires et locataires à refuser l’accès à leurs terrains, comme le droit les y autorise. L’association a mis en place un formulaire permettant de recenser les parcelles faisant l’objet d’un refus d’exploitation minière.
La mobilisation s’organise
Depuis la révélation de ces projets, la mobilisation citoyenne s’est structurée rapidement. Des collectifs se sont formés, comme « Stop Taranis » dans le sud de l’Ille-et-Vilaine, qui organise des réunions d’information et recueille les refus d’autorisation d’exploration.
Sur le terrain politique, les positions sont contrastées. Trois des quatre communes concernées par le permis Epona (Nostang, Hennebont et Kervignac) ont voté contre le projet. En revanche, Laurent Duval, maire de Languidic, s’est déclaré favorable : « Si on a des ressources sous nos pieds, elles seront utiles aux générations futures. »
La communauté d’Anjou Bleu, en Maine-et-Loire, a émis un avis favorable assorti de remarques. Les élus des territoires concernés par les permis Taranis et Belenos tentent de s’organiser pour s’exprimer d’une seule voix.
Les professionnels de santé se mobilisent également. La Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS) du Pays de Redon a publié un communiqué alertant sur les risques sanitaires, notamment sur la santé cardiorespiratoire et les effets de la pollution des sols et de l’eau.
Le contexte national et européen
Ces projets bretons s’inscrivent dans un contexte plus large. Depuis début 2023, une trentaine de demandes de permis exclusifs de recherche ont été déposées en France, dont une vingtaine en métropole (Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Grand-Est) et une dizaine en Guyane et à Mayotte.
Cette dynamique répond à une double pression : d’une part, les besoins croissants en métaux pour la transition énergétique (éoliennes, panneaux solaires, batteries de véhicules électriques) et l’innovation technologique ; d’autre part, le nouveau règlement européen visant à réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis des importations de matières premières critiques.
En France, les ressources du sous-sol appartiennent exclusivement à l’État, qui peut donc accorder des permis d’exploration et d’exploitation selon les procédures définies par le code minier.
Une information pour éclairer les décisions
Face à ces enjeux, les trois députés ont organisé plusieurs réunions d’information. Ces rencontres visent à permettre aux élus locaux, agriculteurs, forestiers, associations environnementales et citoyens de disposer d’informations scientifiques objectives avant toute décision administrative concernant ces permis d’exploration.
L’objectif affiché est clair : que les décisions soient prises en pleine connaissance des risques sanitaires et environnementaux, plutôt que de gérer ultérieurement des catastrophes évitables. Dans un territoire où l’agriculture, la forêt et la qualité de vie constituent des atouts majeurs, la question posée aux décideurs est simple mais fondamentale : ce développement minier est-il compatible avec la préservation durable du territoire breton ?
Selon les associations environnementales, plus les habitants sont informés des impacts potentiels des mines, plus ils s’opposent aux permis d’exploration. C’est également le cas de nombreux élus, y compris ceux qui avaient initialement été séduits par les promesses d’emplois et de retombées économiques présentées par Breizh Ressources.
La mobilisation citoyenne et institutionnelle autour de ces questions témoigne d’une prise de conscience : les choix d’aujourd’hui engagent l’avenir du territoire pour plusieurs générations. Selon Breizh Ressources elle-même, les habitants ont entre 1 et 5 % de chances de voir émerger une mine près de chez eux à l’horizon de 15 à 20 ans. Pour beaucoup, même ce faible pourcentage représente un risque inacceptable.
A lire également l’excellent article de Splann :
https://splann.org/enquete/intoxication-miniere-en-bretagne/keith-barron-recherche-or-bretagne/
Sources : CRIIRAD, Eaux et Rivières de Bretagne, Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), ATC. Hermine Baron, avocate spécialisée dans la défense des victimes d’atteintes à l’environnement.
https://www.actu44.fr/exploration-miniere-en-bretagne-et-pays-de-la-loire-les-deputes-alertent/ : Exploration minière en Bretagne et Pays de la Loire : les députés alertent